tétière théâtre

Comme beaucoup d’œuvres artistiques de cette période (1950 à 1980), la sauvegarde de ce patrimoine culturel du Mali moderne n’était pas une priorité. L’oralité n’habituait peut-être pas les gens (et les artistes eux-mêmes) à ce réflexe de conservation, et les moyens étaient placés vers d’autres projets. Cela eu pour conséquence, la perte de ces œuvres théâtrales appartenant à l’histoire culturelle d’un pays en devenir.

 

F.I.Traoré en répétition de Tempête à l'aube

F.I.Traoré lors d’une répétition
de Tempête à l’aube – Cendres et Soleil (1991)

Falaba Issa Traoré et le théâtre

En 1955, alors qu’il est directeur de l’école des filles de Kita, Falaba Issa Traoré décide pour rompre avec la monotonie de son poste de fonctionnaire de s’investir vers une activité plus créatrice et qui l’attire depuis longtemps, le théâtre. Il éprouve de plus en plus le besoin, comme beaucoup de jeune intellectuel de l’époque, de trouver un moyen d’éduquer un peuple encore sous la direction du Soudan français.

Donc en plus d’être enseignant, il devient homme de théâtre. Il est membre fondateur du Centre Culturel de Kita en 1955, directeur-metteur en scène de la troupe de Kita, championne du Soudan Français et demi-finaliste de la Coupe d’A.O.F. de Théâtre en 1956 (compétitions théâtrales inter-coloniales d’Afrique Occidentale Française) avec des pièces qu’il a écrite.

Modibo Keita et sa femme lors d'une Semaine de la jeunesse

Modibo Keita et sa femme
lors d’une représentation de la Semaine de la jeunesse

En 1958, il est responsable de la section Théâtre et Danse du Premier Festival de la Jeunesse d’Afrique Noire tenu à Bamako en septembre.
Il crée et dirige pendant 7 ans la TARBAM (Troupe Artistique de la Région de Bamako) pour les éditions de la Semaine de la Jeunesse. Il permettra à la TARBAM de remporter 4 éditions disputées de 1962 à 1968 par les jeunes du district de Bamako.
Puis il crée et dirige la Troupe Folklorique et d’Art Dramatique Yankadi (troupe privée) qui remporte un vif succès.
Il sera à l’origine des premiers pas du Théâtre National et formera de jeunes artistes qui deviendront des célébrités maliennes.
Il sera Directeur des Spectacles du Mali et à ce titre dirige les formations artistiques nationales au Festival des Arts Nègres de Lagos en 1977, poste qui lui donne l’opportunité d’impulser le genre Kotéba.

Falaba Issa Traoré est auteur et metteur en scène de nombreuses pièces à succès dont le « Drame d’Hamdallaye » (1955) et « Tempête à l’aube« , remportera le Prix de la coupe du Mali en 1966. Pièce qui sera souvent joué jusqu’en 1991. C’est avec cette pièce que le comédien Sory Ibrahima Koïta deviendra, et ce jusqu’à sa mort en janvier 2003,  » Capitaine Bomba« . Une forte amitié naitra entre les deux hommes, « Bomba » sera de tous les films de Falaba.

Falaba a écrit et mis en scène des pièces de théâtre qui, dit-on, sont parmi les plus belles du répertoire national : Révolution à Sorobougou, Pour que vive la Socima, Le retour de Caporal, Vacances à Bissao, Tempête à l’aube, La bonne graine, La moisson sera pour demain, Le drame d’Hamdallaye, Le salaire de l’indifférence, Sabou, Môkô nyama, …

Malheureusement il reste très peu de trace des œuvres théâtrales de Falaba, quelques photos et articles de journaux et les textes de ses pièces sont probablement enfouis au fond d’une malle (qu’il reste à rechercher).

Tempête à l’aube :

Programme de Tempête à l'aube

Programme de Tempête à l’aube

Cette pièce a beaucoup marqué son époque, écrite à la fin des années 50, elle sera présentée aux 5eme semaines nationales de la Jeunesse à Bamako et remportera le prix de la meilleure pièce du Mali en 1966.

Pièce prémonitoire jouée pour la première fois en 1966, elle a pour thème la soumission du peuple par une junte militaire venue au pouvoir par la force.
Falaba comme beaucoup d’artiste œuvrait afin d’amener son pays vers la bonne voie mais il sentait également les courants divergents. Deux ans après, un coup d’état militaire destituera Modibo Keita et le militaire Moussa Traoré prendra le pouvoir jusqu’en 1991. Celui-ci comme dans Tempête à l’aube imposera un pouvoir militaire peut soucieux des intérêts de son peuple.

À propos de la pièce :

Voici ce qu’écrira le Pr Gaoussou Diawara (auteur dramatique, écrivain, personnalité intellectuelle des arts et de la culture malienne) de Tempête à l’aube.

« Parmi les pièces des Semaines, nous citerons volontairement  » Tempête à l’aube  » de Bamako présentée en 1966 et qui eut une très grande résonance.
Le problème du pouvoir y est posé dans toute son acuité. Cette pièce n’est pas une accusation, mais une mise en garde. Avec l’avènement de l’armée dans la vie politique de plusieurs pays du monde, l’on réalise aujourd’hui que la gestion des affaires publiques n’est pas un domaine réservé aux seuls civils. Des officiers président aux destinées de nombreux Etats. Par contre, si le pouvoir militaire ne compte pas avec les intérêts de son peuple, le jeu de la démocratie s’en trouve affectée. Tel est le cas dans  » Tempête à l’aube « .

Dans un État qui ne figure sur aucune carte du monde, un journaliste formé en Bulgarie du nom de Koman lutte dans le maquis à la tête d’intellectuels de même opinion pour libérer sa patrie tombée aux mains du pouvoir de terroristes caractérisés par des exécutions sommaires.
La mère et la fiancée du héros sont prises en otages, Koman ne se rendant pas, elles sont passées aux armes. L’insurrection s’embrase et la dictature est renversée. Un gouvernement populaire est instauré.

 » Tempête à l’aube  » a introduit le thème de la problématique du pouvoir dans notre théâtre moderne. L’œuvre était surtout moralisante. En plein spectacle dans la salle, la mère de l’acteur principal éclate en sanglots lorsque sur scène, elle vit son fils mitraillé et le sang jaillir de sa bouche. Ébranlée par les effets de trucage, elle crie en courant vers le plateau. Le héros, comme un personnage de la Commedia dell arte, sut improviser une autre scène pour rassurer sa mère qu’il n’était pas mort. 
Koman, de par sa force de volonté, son amour profond pour son peuple donne à cette œuvre une dimension nouvelle aux créations artistiques des semaines. La pièce fera le tour du Mali, marquant ainsi par son message, une date dans la vie culturelle revigorée par la jeunesse. »

La même pièce, les mêmes comédiens, le même metteur en scène mais 20 ans séparent les représentations

Dans son ouvrage « Le Kotéba et l’évolution du théâtre moderne au Mali » (éd. Jamana – 1995)* Sada Sissoko écrira :

Au sujet du langage théâtral : « La faiblesse du théâtre à cette période (1963 à 1965) concerne l’écriture dramatique, […] C’est à partir de 1966 qu’il est apparu un véritable effort de théâtralisation par la troupe artistique régionale de Bamako dans sa pièce intitulée « Tempête à l’Aube ».

Au sujet de la mise en scène : « 1966 fut le tournant décisif de la mise en scène au Mali à inscrire à l’actif de la troupe Artistique Régionale de Bamako pour sa tentative de libération physique et psychologique du comédien. La mise en scène de « Tempête à l’Aube » restera une référence qui influencera aussi fortement les Biennales de 1970 et 1972. »

 

Le quotidien l’ESSOR du vendredi 8 juillet 1966 a écrit :
« En interprétant avec réalisme Tempête à l’aube, la troupe artistique régionale de Bamako a fait montre d’une maturité artistique remarquable. […]
De la troupe artistique locale de Koulikoro, reprise par Issa Falaba Traoré, enseignant et l’ensemble des acteurs, cette pièce illustre l’asservissement du peuple par une junte militaire venue au pouvoir par la force, la réaction positive du peuple par la révolte, référence aux nombreux coups d’état en Afrique nouvellement indépendante. »

Quelques photos autour de la pièce :

Répétition de « Tempête à l’aube » (1991) au Carrefour de la jeunesse à Bamako

Ces photos sont tirées du film de S.Drolet « Cendres et Soleil » (1991).

Au sujet d’autres pièces :

Dans son ouvrage (*), Sada Sissoko écrira :

– 1967 : « La bonne graine » de Issa Falaba Traoré, enseignant, présentée par la troupe artistique régionale de Bamako, relate le dévouement du militant convaincu, du responsable décidé de faire son devoir même au prix de son poste et de l’équilibre de son foyer. Cette pièce a été pour beaucoup dans le déclenchement de la révolution du 22 août.

– 1968 : « La moisson » de Issa Falaba Traoré, enseignant, présentée par la Troupe artistique régionale de Bamako, explique le retour d’un cadre après ses études à l’étranger pour se mettre au service de son pays contre la volonté d’un père réactionnaire et malgré des contradictions sur certaines nuances de la révolution. Cette pièce a donné une énergie nouvelle à la révolution. Parallèlement, le théâtre traditionnel se développa en s’ouvrant plus aux idées nouvelles de socialisation, de culture et de développement, conformément aux préoccupations prioritaires du peuple et au modernisme universel. Il s’enrichit de grands thèmes prônés par le parti.

 

 

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