Discours de Falaba Issa Traoré en 1988, pour ses adieux à La Biennale de Bamako.

(Rencontre des artistes de toutes les régions du Mali et compétition entre troupes régionales)
Falaba au milieu de ses pionniers

Falaba au milieu de ses pionniers

Lorsque l’on a :

- Quatre décennies durant, dispensé le savoir à des milliers de jeunes dont certains, aujourd’hui, siègent avec honneur dans les plus hautes instances du Parti et de l’Etat,
– Assumé un rôle de premier plan dans la ruralisation pratique de l’enseignement,
– Créé des écoles, dirigé d’autres, formé des centaines de jeunes à ce métier d’éducateur que l’on qualifie à juste titre de sacerdoce,
– Pris une part active au congrès historique de Mopti et assumé,huit ans durant, des fonctions importantes au sein du Conseil National du Snec, ce syndicat dont on ne saurait nier le rôle de porte-étendard qui a été jusque là le sien;
– Organisé la première cérémonie officielle d’installation du Mouvement National des Pionniers au sein de l’Ecole Malienne;

On a, sans conteste, mérité de cette institution.

Falaba animateur radio

Falaba animateur radio dans les années 60

Lorsque l’on a :

- Déjà en 1955-56, représenté le Soudan Français dans les compétitions théâtrales intercoloniales d’Afrique Occidentale Française;
– Assumé la responsabilité de la section Théâtre et Danse du Premier Festival de la Jeunesse d’Afrique Noire tenu à Bamako en 1958;
– Créé et dirigé la TARBAM (Troupe Artistique de la région de Bamako) tout au long des sept éditions de la Semaine de la Jeunesse;
– Que l’on s’est adjugé quatre coupes de théâtre sur les sept que la jeunesse du district de Bamako a disputées de 1962 à 1968;
– Lorsque l’on a créé et dirigé la Troupe Folklorique et d’Art Dramatique Yankadi, qui a connu le succès que l’on sait;
– Dirigé les premiers pas du Théâtre National, formé des artistes célébres et porté l’Ensemble Instumental National à son apogée ;
– Lorsqu’enfin l’ on est détenteur de la Carte d’Artiste Numéro 1 de la République du Mali;

On a, sans conteste, mérité du Théâtre Malien.

Directeur de l'EINM

Directeur de l’EINM

Lorsque l’on a :

- Composé et mis en musique des aires célèbres comme Bambo, Dabakala, Armée Malienne, Massaké kélen diakali bali, Bèkena, etc;
– Monté des ballets non moins célèbres comme Fléni, Kocoun, Donso n’goni, N’Kègnin, Tjigouélé, Tièdo et tant d’autres;
– Composé également, mis en musique, enrégistré et gravé dans la cire les grandes épopées et les beaux chants dont s’enorgueillit l’Ensemble Instrumental National et qui participent si heureusement au rayonnement culturel de la République du Mali;
– Ecrit et mis en scène des pièces de théatre qui, dit-on, sont parmi les plus belles du répertoire national : Révolution à Sorobougou, Pour que vive la Socima, Le retour de Caporal, Vacances à Bissao, Tempête à l’aube, La bonne graine, La moisson sera pour demain, Hamdallaye, Le salaire de l’indifférence, Sabou, Môkô nyama, etc;
– Lorsque l’on a été, trente ans durant, en avant-scène sans défaillance aucune;

On a sans conteste, mérité l’appelation « Père du théatre Malien » dont l’Essor m’a honoré.

Lorsque l’on a :

- Créé et dirigé la fameuse émission d’animation rurale qui fait encore fortune sur les antennes de la Radiodiffusion Nationale;
– Ecrit et publié des recueils, romans et poésies;
– Ecrit des scénarii, produit et réalisé des films documentaires et de fiction comme Jigi folo (Première lueur d’espoir)Biennale 1978, Anbè no don (Nous sommes tous coupables), Kiri kara watita (Duel dans les falaises);
– Lorsque l’on a, en somme apporté sa contribution en tous ces domaines de l’art et de la culture;

On a, à sa façon, mérité de la Patrie.

Cadre de l'État, il a reçu de nombreuses récompenses

Cadre de l’État, il a reçu de nombreuses récompenses

Lorsque retentiront les fanfares de la Biennale 1988, Falaba Issa Traoré ne sera plus sous les feux de la rampe. Je serai dans le public, cette masse noire confuse, tendue et fébrile, qui bouge et qui vibre dans les ténèbres des salles de spectacles Parti de ton sein, je reviendrai en toi, oh public bien aimé. Car c’est en toi que, tout au long de ma longue carrière, j’ai puisé l’inspiration et mesuré l’équilibre dans tous les actes de mes créations. C’est auprès de toi que j’ai trouvé le réconfort moral qui a été mon unique salaire. C’est avec toi, qu’à l’unisson, j’ai vibré de tout mon être. Enfin, c’est à toi que je me suis aggripé, chaque fois que j’ai trébuché.
De 1955 à ce jour, du petit centre culturel de Kita aux grandes scènes modernes d’Afrique et d’Europe, la route est longue. Il est vrai, cet adage de chez nous, qui dit que le rameau de cotonnier est le pire ennemi de l’etoffe. L’art consume son serviteur ; il ne nourrit point son homme.
Et elle est bien triste, cette image du grand Corneille, vieilli, attendant, dans le froid, que le cordonnier rafistole ses vieux souliers. L’art est comme la drogue ; on y recherche des plaisirs, quand bien même l’on sait qu’ils sont sans lendemain. On s’y accroche quand même, car en dehors de lui, plus rien pour l’artiste, n’a de sens. Les bonnes planques, les revenus substantiels, les médailles, etc, sont pour les autres. L’artiste, lui, est toujours à la tâche, rarement à l’honneur.
Qu’importe ! Que les maigres entrefilets dont la presse le gratifie de temps à autre, les chaudes et cordiales poignées de mains et les vivats frénétiques du public le dédommagent de l’oubli et le dédain, et lui tiennent lieu de médailles, en l’abscence des beaux rubans constellant les poitrines des autres.
Jeunes de nos campagnes et de nos villes, artistes de toutes discipline, hommes et femmes de bonne volonté, je vous passe le flambeau. En le faisant, je forme le voeu qu’en vos mains, il brille de mille éclats et assure, à l’art malien, une place de choix au rendez-vous de l’universel.

Falaba Issa Traoré.

 

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